L’un des aspects les plus fascinants de la Blockchain est le principe qui en forme le cœur : une gouvernance décentralisée avec, comme modus operandi, le consensus. Si la Blockchain inspire les artistes, est-elle pour autant applicable à la production artistique ? Entre un artiste qui permet à ses collectionneurs d’acheter des parts d’influence sur lui via une tokenisation de sa pratique et le premier centre d’art en forme de DAO (Decentralized Autonomous Organization), la blockchain se dévoile comme un outil artistique aussi subversif que nécessaire. Les questions du consensus et de la décentralisation des processus de décision dans les pratiques artistiques sont au centre des deux projets discutés lors de cette session : le Jonas Lund Token et la Decentralized Autonomous Kunstverein. Cette séance est une carte blanche à la curatrice Aude Launay.
Participant-e-s
Aude Launay
Aude Launay est autrice et curatrice. Elle s'intéresse à l'art qui interfère avec les mécanismes de pouvoir qui sous-tendent les structures de gouvernance.
Jonas Lund
Jonas Lund est artiste. Il applique les méthodes de quantification et d'analyse de données qui prévalent actuellement dans de nombreux domaines au domaine de l'art.
Nick Koppenhagen
Nick Koppenhagen est artiste et membre fondateur de la DAK, premier centre d’art basé sur la Blockchain Ethereum.
Compte-rendu
Beaucoup d’artistes produisent et ont produit des projets à propos de la blockchain (des projets descriptifs et explicatifs), d’autres l'utilisent pour des usages relativement similaires bien que déviants par rapport à ceux que l’on connaît déjà (d'autres cryptomonnaies par exemple), relativement peu encore les explorent à d’autres fins. Si la Blockchain inspire les artistes, est-elle pour autant applicable à la production artistique ? C'est à cette interrogation que cette séance tente de répondre, en s'intéressant tout particulièrement à la sous-traitance et la décentralisation des processus de décision dans les pratiques artistiques. La soirée est une carte blanche à Aude Launay qui est commissaire indépendante et critique d'art.
Aude Launay
Aude Launay a été rédactrice en chef associée de la revue 02 dédiée à l'art contemporain. Une grande partie de ses écrits et expositions s'intéressent à l'influence d’Internet et des technologies sur l'art contemporain et la société, ainsi qu’à la curation algorithmique. Ces trois dernières années, ses recherches se sont focalisées sur la prise de décision distribuée via des processus algorithmique ou basé sur la blockchain dans l'art. Récemment elle a été commissaire d'une exposition personnelle de l’artiste Jonas Lund, où les choix curatoriaux ont été délégués au public via un site Web conçu et designé par l'artiste. Elle a participé également à l'exposition Proof of work, présentée au Pavillon Schinkel à Berlin à l'automne 2018, dont le commissaire était Simon Denny, un artiste qui le bitcoin et la blockchain, en dialogue avec 6 invités. Une structure curatoriale spécifique a été adoptée pour sélectionner les œuvres de l'exposition, selon une méthode de prise de décision distribuée.
Jonas Lund
Avec le Jonas Lund Token, Jonas Lund a ouvert son capital artistique à des actionnaires, leur donnant de l’emprise sur sa pratique. Chaque action est représentée par un token Jonas Lund, un système conçu et distribué via la blockchain Ethereum. Comme dans le cas d'une société par actions, une action équivaut à une voix et les propriétaires des tokens font partie du conseil d'administration de Jonas Lund et seront consultés chaque fois qu'une décision stratégique doit être prise, comme la participation à une exposition ou à une conférence, ou encore la production d’une nouvelle œuvre. Les tokens s’obtiennent soit en participant à l’essor de la carrière de l’artiste (en l’invitant à participer à une exposition, en publiant un article sur lui, en twittant à son sujet…) ou via l’achat d’œuvres spécifiques auxquelles sont rattachés un certain nombre de tokens.
Les tokens Jonas Lund créent un système dans lequel les détenteurs de tokens sont incités financièrement à parvenir à un consensus sur la meilleure décision stratégique à prendre - la logique étant que plus la carrière de Jonas Lund est fructueuse, plus le token prend de la valeur. Les œuvres exposées lors de son exposition à Berlin ont par exemple été choisies par les détenteurs de tokens à la suite d'un vote sur quatre options différentes proposées par l'artiste. L’idée qui sous-tend le JLT c’est la gouvernance collective.
Nick Koppenhagen
La Decentralized Autonomous Kunstverein (DAK) est une association artistique à but non lucratif dans la tradition des Kunstvereine allemandes. Mais elle est basée non sur un territoire physique mais sur la blockchain. C’est ce que l’on appelle une DAO, une Organisation Autonome Décentralisée. Plus précisément, une DAO est une organisation construite sur la blockchain Ethereum, un ensemble de contrats intelligents qui permettent aux organisations de fonctionner selon de nouveaux modèles de gouvernance. La DAK est donc une organisation en réseau, dirigée et financée par ses membres sur une base volontaire, sans espace permanent ni juridiction d'origine. Les avantages de cette base sur la blockchain sont nombreux :
- la possibilité de ne pas être censuré
- des modules de gouvernance programmables pour différents modèles d'organisation
- des tokens faciles à distribuer et de manière transparente
- puisqu’il n’y a aucun pouvoir central, il ne peut y avoir corruption à cet endroit
- la transparence des transactions