Nées des utopies cyberpunks d’un monde libéré du poids des institutions régulatrices, la blockchain permet de nouvelles formes d’organisations décentralisées (DAO ou Decentralized Autonomous Organization). Ces technologies laissent ainsi entrevoir des capacités de désintermédiation et d‘auto-organisation pouvant potentiellement être débattues de façon démocratique par leurs acteurs dans un idéal d‘émancipation (gouvernance EOS, etc.). Que se passe-t-il lorsque les règles de gouvernance sont automatisées et inscrites de façon immuable et transparente dans une blockchain ? Quelles en sont les implications politiques?
Participant-e-s
Jaya Klara Brekke
Chercheuse à l’Université de Durham (Royaume-Uni) et collaboratrice du RIAT - Institute for future cryptoeconomics (Vienne). Son objet d’étude est l’économie politique de la blockchain et les protocoles de consensus, avec une attention particulière portée aux questions de politiques, de redistribution et de pouvoir dans les systèmes distribués. Elle est l’auteure de The Satoshi Oath, un serment d’hippocrate pour le développement de la blockchain. Elle est en train d’écrire sa thèse Distributing Chains, trois stratégies pour penser politiquement la blockchain.
Primavera de Filippi
Chercheuse au CERSA (C.N.R.S et à l'Université Paris II) et chercheuse associée au Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard), où elle analyse les implications juridiques des architectures distribuées. Sa recherche se concentre notamment sur les enjeux juridiques soulevés par les technologies blockchain — telles que Bitcoin, Ethereum, etc. Elle est co-autrice de l'essai Blockchain & the Law (Harvard University Press, 2017).
Paul Seidler
Artiste et designer, il présente le projet Terra0, un prototype de forêt "augmentée" qui s’autogère via des processus automatisés, des smart contracts et la technologie blockchain. Terra0 est un groupe de développeurs, de théoriciens et de chercheurs qui explorent la création d’écosystèmes hybrides online/offline. Ils développent des outils pour l’autogestion d’écosystèmes et de ressources naturels en explorant les possibilités de la DAO (Organisation Autonome Décentralisée), une forme de contrat intelligent déployé sur la blockchain Ethereum
RYBN
RYBN est un collectif d’artistes basés à Paris qui explore depuis 1999 des phénomènes socio-économiques, scientifiques et politiques complexes, tels les algorithmes de trading à haute fréquence, l’architecture de l’économie offshore et les marchés financiers. Leur dernier projet The Great Offshore est une enquête de longue haleine sur les paradis financiers, dont Malte, surnommée "Blockchain Island".
Compte-rendu
Qu'est ce que la blockchain ? De quelle manière cette technologie pourrait-elle changer nos vies ?
« Inventée » par Satoshi Nakamoto (à ce jour personne n'a réussi à savoir qui se cache derrière ce pseudonyme), la technologie blockchain sous-tend la cryptomonnaie Bitcoin, créée en 2008. Nous pourrions la décrire comme un registre numérique chiffré qui est partagé entre les utilisateurs et qui enregistre les données et transactions financières, mais aussi des contrats ou des accords bilatéraux sans l'intervention d'un administrateur central, comme les banques. La création de ce système de paiement électronique en peer-to-peer (P2P), il y a dix ans, a été motivée par la crise bancaire de 2008 puis les crises de la dette, et la volonté de trouver un moyen de faire des transactions entre particuliers sans passer par des intermédiaires et les banques… Cette technologie émerge dans un contexte de crise de confiance généralisée envers les gouvernements. Elle a été pensée comme une réponse à la corruption des structures de pouvoir centralisées et opaques qui a été mise au jour lors de la crise financière de 2008. En plaçant leur confiance dans un système reposant sur le consensus distribué au sein d’un réseau, en remplaçant la gouvernance humaine par des moyens technologiques considérés plus neutres, non biaisés, ses promoteurs, qui font plus confiance aux mathématiques qu'aux politiques, espéraient raviver les racines démocratiques du web.
La blockchain semble avoir un ensemble de propriétés qui l’ont rendu très attractive à la fois dans les milieux économiques mais également parmi les activistes : ces propriétés sont la décentralisation, l'immuabilité, et la neutralité. De manière insistante, nous sommes amenés à croire que la blockchain va créer une société plus démocratique et égalitaire. L’obsession de s’affranchir de tiers confiance qui sous tend l’usage de la blockchain, pose la question politique de la confiance dans la société et dans ses institutions. Il y a derrière cette conception de la blockchain une vision du monde où l’on considère qu’une société parfaite est une société d’individus passant des contrats automatisés par du code informatique : « le code est la loi ».
Pour l'instant, on constate que ces technologies P2P distribuées, censées renverser les gouvernements et les banques centrales, ont rapidement suscité l'intérêt de ces mêmes banques et de la fintech qui ont été particulièrement promptes à les incorporer comme nouveau système de transaction et de paiement électronique... Bien que la blockchain a été surtout adoptée par des investisseurs et des entrepreneurs, elle est néanmoins aussi employée par les communautés qui explorent les usages radicaux et alternatifs que cette technologie peut générer, dans les arts, les médias et les formes de gouvernance. Cette technologie, qui nourrit les utopies, pose aussi de nombreuses questions politiques et éthiques. Si elle réalise la réciprocité sociale et permet de se passer d'intermédiaires, elle représente aussi des opportunités d'investissement pour une nouvelle élite digitale.
RYBN
Jaya Klara Brekke
Primavera De Filippi
Paul Seidler
Primavera De Filippi
Dans le cadre du cycle, Primavera De Filippi a été invitée à exposer une sélection de Plantoïdes à la Gaîté Lyrique. Une plantoïde est une forme de vie basée sur le protocole technique blockchain : elle est une entité autonome (personne ne la contrôle), auto-suffisante (elle accumule les ressources nécessaires à sa propre survie) et capable de se reproduire. Chaque plantoïde possède son propre code génétique qui détermine sa forme physique, son fonctionnement et son système de gouvernance.
Chaque plantoïde a un compte sur lequel sont collectées des donations en crypto-monnaies. Dès que la somme atteint un certain montant, un logiciel décentralisé (appelé « smart contract ») est activé sur la blockchain d’Ethereum. Ce « smart contract » permet de lancer automatiquement un appel d’offre pour la création d’une prochaine plantoïde. Une fois la proposition gagnante retenue, son auteur reçoit les crypto-monnaies collectées pour produire la future plantoïde.